29 mars 2010

 

Peaches - Jesus Christ Superstar

Elle revient. Et elle est en forme nom d'un p'tit baudet. En plein dans le mille de la voie de l'éternel retour au kitsch (voir le post sur Seth Price un peu plus bas) qu'elle a largement contribué à ouvrir. Peaches générale en chef des années 2000. Moi je vais vous dire un truc : j'ai adoré le premier album de la Pêche à peu près autant que je déteste Jesus Christ Superstar et ses mélodies bavardes à la queen sur leur lit d'harmonies merdeuse de blues rock de pub dans une sauce vaguement baroque à l'anglaise. Donc je partais vaincu. Et la première moitié du spectacle, elle est seule sur scène avec le Gonzales au piano (qui est un pianiste hallucinatoirement bon), elle est habillée de façon à souligner son corps de non-déesse, elle chante avec énormément de coffre, comme Tina Turner, comme Céline Dion, comme une Aretha Franklyn de zone blanche qui forcerait sur la vocalise à mort, elle joue tous les rôles, fait toutes les voix, m'a impressionné pour le Show, c'est sûr, mais absolument reconduit dans mes certitudes : une telle daube - l'original des années 70 - ne peut que propager pour les siècles et les siècles son horreur insoutenable. Mais justement... C'est avec ça qu'elle joue la mère maquerelle.
Bref je me suis fait chier comme un rat mort. Arrive l'entracte. Peaches revient en costume doré que je ne saurais même pas décrire (il y a probablement quelques condamnations au camp de travail qui se perdent dans le milieu de la mode berlinoise) et reprend plein pot. Par une chanson extrêmement ironique où elle joue à merveille la chanteuse qui ne sait pas chanter. Ca tourne au spectacle de fin d'année du conservatoire de Jouy-en-Josas. Sauf que la Peaches elle enchaîne sur des registres de voix et de ridiculissimité absolument sidérants et finit par gagner une sorte de puissance monthypyhtonesque, un grotesque immonde qu'elle extirpe de ce glacis de formes figées dans la graisse refroidie de la bouillie populaire. Ce grotesque devient communicatif et s'oppose avec véhémence à la dernière trace d'espoir livrée aux emmerdeurs comme moi, aux quasi curés dans mon genre : le piano du Gonzalez de plus en plus en verve, qui fait virevolter son blouson doré (et ses charentaises marrons) dans une sorte de fourmillement d'accords rocks devenus par sa petite alchimie personnelle à la fois légers et pénétrants. Ca bombarde dans tous les sens, c'est appuyé, c'est enveloppant, c'est une mitrailleuse harmonique. Et cet alliage improbable se solidifie avec le temps du spectacle, comme la mise en scène monte dans un crescendo de son minimalisme absolu du début vers une utilisation plus soutenue des "trucs" spectaculaires d'une salle de spectacle où l'on fait des spectacles. Pan arrive le final en forme de crucifixion : attention SPOILERS !

Une énorme croix en forme de bite de 5 mètres de haut flotte dans l'ether, l'axe vertical est un gloubiboulga organique qui part d'un coeur sanguinolent vers un gland de teub décaloté de toute beauté, l'axe horizontal est un enchevêtrements de viscères qui nous fait hésiter entre des os humains écorchés, fémur et avant-bras, et des pinces de homards qu'on aurait arraché avec les dents de la pauvre bête encore vivante. Le tout est comme englué dans une solution brillante et pailletesque qui révèle l'horreur du spectacle, ou le spectaculaire de l'horreur. Peaches est crucifiée dessus l'air idiote et timide, 30 danseurs arrivent et exécutent une chorégraphie pourrie et le spectacle tourne à l'animation du club med dans un décor fluo-kids post post post moderne, et je me dis que l'obsession actuelle du passé (expression choppée dasn une interview d'Autechre, qui s'étonnent de l'époque qui tranche tant avec le futuro-béatisme un peu benet des années 90. Des gens de ma génération hein !)et la répétition ad nauseam de l'ironie sur le dégeuli du populaire ont de beaux jours devant elles, que la mère Peaches en est à l'évidence la grande pretresse, que les autres suivent loin derrière mais rêvent de suivre, ont les dents qui rayent le plancher en sucre.

Le succès fut garanti. explosion de la foule en délire. Les Converse remuaient comme des popotins en chaleur, les sweat shirts à figures fluo gigotaient comme le chien qui dit oui à l'arrière de la voiture, ovation debout. Gonzalez épuisé était encore plus applaudi que la chanteuse qui nous avait noyé dans un voyage au centre même de ce qu'est le recyclage permanent de la culture populaire par elle-même. Il faut admettre, malgré mes fortes réticences, que j'étais pris dans le mouvement. Faut parfois savoir, lâcher un peu l'morceau.

Peaches est en partance pour le scandale et la gloire avec son crucifix-bite et son improbable capacité à jouer virtuose de la gamme des dégueulis. C'était quand même quelque chose ce machin. Si elle reprend l'Opéra de quatr sous, je lui casse la gueule.

19 mars 2010

 

Monacor Test Generator




Herr Doktor Hans tourna le potentiomètre vers les 41 Herz. L'atténuateur n'y fit rien et Ursula hurla de plaisir.

08 mars 2010

 

Emmanuel Carrère - Un roman russe

Je n'ai pas aimé Un roman russe. Je l'ai dévoré en un week end, en une nuit presque, comme tous les livres impossibles à lâcher. Les page-turners. Un roman russe est un page-turner.
Écrit dans un style clair et incisif, d'une redoutable concision. N'empêche, esthétiquement, littérairement, le compte n'y est pas.
J'ai avec Emmanuel Carrère une relation amoureuse soutenue depuis longtemps. Il a fait naître en moi le premier la croyance qu'il était possible d'écrire. A tort ou à raison. Il m'a au moins fait comprendre que mes obsessions étaient partageables. Partagées plutôt. Les deux premiers livres que j'ai lu de lui, Je suis vivant et vous êtes morts et Le Detroit de Behring, j'aurais voulu les écrire je crois. Avez-vous déjà eu ce sentiment ?
Je les ai découverts il y a une petite dizaine (merde : quinzaine ?) d'années peut-être un peu plus et ils avaient été écrits pour moi. Le détroit... est un essai sur l'uchronie, le non-genre méprisable par excellence. Et si Hitler avait gagné la guerre? y consacrer un essai ! Les dandy-otaku du club des vieux crevards fans de SF regardaient Carrère avec des yeux de biche. Et ce souffle poétique, à revisiter ces histoires alternatives, à les cataloguer, ce cabinet de curiosités littéraire... Houllebecq avait fait quelque chose de similaire (et d'ailleurs de totu à fait extraordinaire) avec son Lovecraft contre la vie.
Je suis vivant..., sa vie de Philip k Dick avait en fait un sous-texte, lui aussi très important : "vous en faites pas les gars, moi aussi j'en suis passé par là, il n'y a pas d'éducation littéraire sans ce moment forcément un peu flottant où l'on a envie d'hurler au monde que K dick est le plus grand écrivain de tous les temps, le tout étant de savoir en sortir". Je suis vivant... ne vous éduquait pas tant sur la vie de K Dick que sur la réception qu'on pouvait en faire nous lecteurs abasourdis, son assimilation dans les strates accumulées durant notre carrière de lecteurs. Son titre déjà qui reprenait une des phrases chocs (et clef...) de Ubik, un des retournements de situation les plus radicaux d'un des romans les plus entropiques que j'ai jamais lu, un précis de décomposition d'une ardeur hallucinée/nante. Ce titre nous parlait droit au coeur nous les K-Dickiens du huitième jour.

Carrère a alors enchainé avec merveille. L'Adversaire. Un putain de livre qui fait oeuvre inverse. Plutôt que de chercher la vérité de la fiction, il se plonge avec une violence crue dans l'horrible réel du mensonge. Le graal. Un livre assez petit et très simplement écrit qui partant d'un horrible fait divers posait la question de la littérature à la mitrailleuse : le travestissement du réel d'un côté, son utilisation rationalisée qui revient à le punaiser contre un mur, à exploiter la mort et le malheur des gens, de l'autre. Non je n'oublie pas La classe de neige, le très osé petit roman écrit "dans la bouche d'un enfant" avec une noirceur consommée. Fait d'hiver. glacial. Je n'avais - méfiance ou non - pas voulu voir son film, Retour à Kotelnitch. J'étais un peu emmerdé qu'il fasse du cinéma. Ou du documentaire. C'est ça de faire d'un auteur un de vos intimes. On a des exigences ! J'en comprenais la logique mais je n'avais pas envie de le voir à la caméra, je n'avais pas envie qu'il me montre en image les choses qu'il disait en mot. J'avais peut-être tort. J'ai d'ailleurs finalement vu la moustache le film, que j'ai trouvé plutôt bon. Et puis Un roman russe est sorti et je n'ai pas voulu le lire. La promo m'a insupporté. Et surtout, surtout, j'ai senti quelque chose comme le mauvais remugle de la petite affaire privée, de l'autofiction baveuse, la tâche de sperme du moi et ma bite, et franchement c'était pour moi, avant même de l'ouvrir, une trahison.

Et puis Philippe me l'a offert sans prévenir comme ça un jour, sans raison, ça n'était ni la noël ni mon anniversaire. Je l'ai ramené à Berlin. J'en ai lu les premières pages qui ont confirmé ma première impression et je l'ai rangé. J'étais quelque part blessé. Un an encore, et le temps était venu. Un week-end calme et une légère fatigue mentale. L'envie de lire qulque chose de moins boursoufflé que le "Central europe" de Vollman et mon Esthétique d'Adorno, mon Karl Kraus, mon Walter Benjamin, en ce moment je ne suis pas très olé-olé dans mes lectures, faut bien le dire.

Je suis tombé dessus dans ma petite bibliothèque - forcément petite - de ma chambre d'étudiant sur le retour de la Glogauer Strasse. C'était ce genre de soir : je ressors un roman érotique que j'ai déjà lu où quoi ? Une vieille BD ? Mes Blueberry sont loins, dans un carton dans un conteneur dans un garde meuble, vers Orléans. Oh Emmanuel Carrère. Merde. Quand même. J'ai d'abord été émerveillé de retrouver sa langue si simple et tenue, où l'acte d'écriture est presque dissout. Je trouve le trop plein d'intention, le débordement poétique, l'emphase très souvent pénible et défaitiste. Il y a mille façon d'être bavard. Et puis le point de départ du livre est très bon. Un hongrois retrouvé dans hôpital psychiatrique en Russie, où il est enfermé depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Un peu attendu pour du Carrère, peut-être. Il s'en plaint.

Mais le livre s'avère en fait la description d'une quête intérieure à laquelle je n'arrive pas à m'intéresser. Que sa maman l'aime. Qu'on finisse par l'aimer. Une femme, cette femme. Son grand père mort bien avant sa naissance. Il est plein de dates anniversaires, de réinterprétations à posteriori de gestes de son enfance, d'auto-apitoiement, et même de pages dégoulinantes sur l'amour impossible qui m'ont rendu triste. Triste de m'éloigner du Carrère dont j'attendais mieux. Les affaires privées sont toujours touchantes. Qu'il ait pu sombrer autant dans une (non)machine non littéraire, c'est à dire sans aucun enjeux autres que thérapeutiques (pas tout à fait en fait, bien entendu se glissent pas mal de réflexions sur la violence du geste d'écrire la vie des autres, et la sienne, et même une petite tentative sur l'impossibilité pour l'écrivain de mettre le réel au diapason de sa plume. Mais c'est maigre, malgré paradoxalement l'épaisseur inhabituelle du volume. CQFD), c'est, au sens propre du mot, affligeant.

Ce livre sent la psychanalyse à plein nez. L'antagonisme au monde qu'elle implique. Le ressassement éternel des "dates" anniversaires, des violences psychiques subies par l'absence, du grand-père ici, la transmission des traumas. C'est touchant bien sûr. Putain oui c'est touchant. Mais une horrible peinture réalisée par un névrosé au dernier stade des anxiolytiques, avec un paysage de campagne plus ou moins raté et un soleil couchant, peut aussi être touchante. Je me rappelle de M. me parlant d'un 45 tour réalisé par un des gars atteints de myopathie avec qui il travaillait auparavant. Une horrible chanson ratée et affreusement triste. Quelque chose comme "je voudrais voler comme l'aigle dans le ciel". C'est cent mille fois plus touchant. Ça n'en fait pas pour autant une bonne chanson. Carrère était une sorte de guerrier de la littérature. Un véritable explorateur. Il a su reprendre des chemins que l'on croyait oublié. Des sentiers verdis par les herbes folles. Et même, c'est le graal dont je parlais, en découvrir d'autres. Et là on tombe dans l'auto journal intime. A peine soutenable. Un truc de ce genre se publie post-mortem, pour les exégètes d'un grand auteur. Le faire ainsi de son vivant est soit misérable soit monstrueusement prétentieux. Cette fin, une lettre à sa maman, en bonne et due forme, est d'un marasme incroyable. La psychanalyse m'a tuer. C'est la faute des autres. La faute des morts. La faute des vivants qui portent les morts. Dans un passage très éclairant il assimile le romantisme et le bovarysme donc le déni du réel. Il mmontre par-là comme son réel s'est raccourci. Cette espèce de confusion entre "grandir", c'est à dire s'épanouir, et "maîtriser", c'est à dire mettre au pas, mène droit à l'inévitable assèchement, au tarissement de la source chaotique qu'il avait jusque-là si bien sublimée. Je comprends bien que Carrère a, comme Capote avec qui il a beaucoup en commun, été dévasté par l'Adversaire. Qu'on ne se remet pas d'un truc pareil. Mais je ne suis pas là pour lui trouver des excuses ou ne pas lui en trouver. Je suis là pour constater qu'il s'est perdu.

Ce livre est sauvé - c'est affreux - par l'horrible malheur qui s'abat sur les gens de Kotelnitch. Et par la manière dont Carrère les raconte, les infiltre, et finalement à sa manière distante, les aime. C'est le seul amour intéressant, cette empathie pour l'autre, le véritable autre, l'irréductible autre.. L'empathie. Voilà un sujet. Religieux presque. D'une autre trempe. Amusant comme c'est d'ailleurs la trame de l'oeuvre de K Dick. Un livre sauvé par un double meurtre horrible quelque part dans une ville miséreuse et glaciale. Carrère l'admet d'ailleurs à moitié. Son film, le Retour à kotelnitch que je n'avais pas voulu voir, a été sauvé par cette affaire. Oui le livre parle du film qui lui même je parierai parle d'un livre à venir.

Sans cette horreur sourde le bouquin ne tiendrait plus du tout non plus. ça me remet à ma place de lecteur voyeur, et replonge Carrère dans son destin inexorable. Tout ce qui fonctionne si bien dans son écriture, son refus de magnifier les choses, sa précision, son refus de les transcender même, des les amener à un autre niveau que leur brutalité intrinsèque de faits, tout ce qui lui a permis une telle pudeur dans l'Adversaire, qui faisait un tel effet dans La classe de neige, tous ces éléments se retournent contre lui dans Un roman russe et lui envoient des bons coups de canne. C'est la volée de bois vert. La transparence de ce livre nous coûte un écrivain. Je n'ai jamais aimé Proust (jamais réussi à le lire) mais je peux facilement comprendre comme il a réussi à faire machine avec l'intime. Carrère n'a fait de son intime que de l'intime.
Maintenant on sait. Il a eu une épouvantable mauvaise passe. On l'a vécu sur des centaines de pages. On ne peut bien sûr pas lui en vouloir d'avoir fait sa dépression. Ce serait juste bien qu'il se remette au travail.

PS D'autres vies que la mienne ? Pas lu. Le titre déjà... Mais je sais bien que je n'y couperai pas un jour ou l'autre.

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